Algophagie

Les algues alimentaires… j’étais formelle, j’avais dit qu’il était hors de question que je mange des algues ! Mais comme je ne déchiffre pas les kanjis, ce fut un grand plongeon dans l’inconnu lors de nos pérégrinations en Chine, en Corée et au Japon. Je n’ai pas toujours identifié ce qu’il y avait dans mon assiette et lorsque je me suis resservie une troisième fois et qu’on m’a dit qu’il s’agissait d’algues, j’ai bien du admettre que j’étais convertie ! Tout au long du voyage nous avons déniché de l’algue dans nos assiettes, sous toutes les formes, toutes les espèces et toutes les recettes dont voivi un petit aperçu !

Food

En Asie orientale

Les algues sont très populaires en Asie, pas seulement pour les algonautes ! Elles font partie intégrante de l’alimentation humaine depuis des millénaires et ont très bonne réputation. En découvrant notre démarche, des personnes rencontrées au hasard dans la rue ou dans le métro nous parlaient avec passion des vertus thérapeutiques et nutritionnelles des algues.

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A Pusan (Corée du Sud) on peut acheter des algues dans la station de métro

Le Japon, la Chine et la Corée, sont les plus grands consommateurs d’algues comme aliment depuis des millénaires et en ont développé la culture à grande échelle. Au niveau mondial, la production de macroalgues s’élevait à 28,5 millions de tonnes d’algues fraîches en 2014 dont plus de 95% proviennent de cultures (27,3 millions de tonnes représentant 5,6 miliards de dollars US)1. Les algues destinées à l’alimentation humaine directe en tant que légume constituent 40% de la part de la production mondiale totale2.

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Culture à grande échelle de Porphyra sp. en Chine

Parmi les algues les plus utilisées dans l’alimentation humaine se trouvent des espèces d’algues rouges comme le nori (Porphyra sp.), ainsi que des algues brunes comme le kombu (Laminaria japonica), la wakamé (Undaria pinnatifida) ou l’hiziki (Hizikia filiformis).

Le nori c’est une algue qui, une fois conditionnée sous forme de feuilles, sert notamment à faire l’espèce de ruban adhésif noir qui entourent les maki sushi dont je suis devenue si friande.

Mais quelle surprise de découvrir qu’ils mangent aussi des algues vertes ! Au Japon, j’ai goûté une soupe Ao-nori délicieuse, préparée avec de l’ulve, cette espèce qui cause les marées vertes chez nous.

En Corée du Sud, le Pr. Boo m’avait parlé du lien très fort à l’algue dans le pays :

Pr Boo “Je suis très fier de vivre en Corée parce qu’il y a ici un lien émotionnel aux algues marines. C’est à lien à la mère : les jeunes mères consomment traditionnellement une soupe de wakame (Undaria pinnatifida) en Corée du Sud après l’accouchement et durant l’allaitement. Cette pratique a des bénéfices pour la santé des mères et des bébés, en raison des apports en iode qu’elle procure. Lorsque je suis né, ma mère a consommé de la soupe d’Undaria. Nous avons ensuite mangé de la soupe d’Undaria à chaque fois pour mes anniversaires. Undaria est une plante émotionnelle en Corée du Sud et beaucoup de personnes travaillent sur les algues.”

En Asie du Sud-Est

Pendant notre séjour en Asie du Sud-Est, dans les eaux tropicales calmes du Triangle de Corail, nous avons vu des cultures à très grande échelle d’une algue rouge, Kappaphycus alvarezii, utilisée pour extraire les carraghénanes (ces super molécules (dont nous avons parlé précédemment).

Seaweed farming Zamboanga

Cultivateurs d’algues à Zamboanga aux Philippines

Nous avons retrouvé cette jolie algue Kappaphycus alvarezii sur les étals de marché en Malaisie et aux Philippines où elle est consommée sous forme de salade.

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Salade de Kappaphycus aux Philippines

C’est également le cas d’une autre algue verte cultivée, Caulerpa lentillifera. Cette algue est également très belle et communément appelée “caulerpe raisin“ : quand on voit sa morphologie en grappes, on comprend pourquoi !

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Caulerpa lentillifera (Credits: Dr Adibi Nor Rahiman)

En Amérique du Sud

Lorsque nous avons traversé le Pacifique, nous nous sommes retrouvées dans des conditions environnementales bien différentes : au Chili, les courants froids de l’Antarctique favorisent la croissance d’une très grande algue brune, le cochayuyo (Durvillea antarctica). J’adore ce nom, non seulement parce que je trouve qu’il rend hommage à Annie Cordy et à son tube Tata Yoyo, mais aussi pour sa signification qui signifie herbe de la mer en langue Quechua. Il s’agit d’une très grande macroalgue brune exploitée principalement pour l’extraction des alginates (encore une sorte de phycocolloide !).

marché à Chiloé

On peut acheter des algues au marché à Chiloé : luche (Porphyra) et cochayuyo (Durvilllea antarctica)

Au Chili on la rencontre aussi sur les étals de marché sous forme de paquets séchés et ficelés. J’ai eu du mal à croire que c’était destiné à l’alimentation humaine car son aspect caoutchouteux et rigide n’est pas très ragoûtant.

Cochayuyo

Cochayuyo à Chiloé, Chili

Une fois réhydraté, le cochayuyo entre dans la composition de recettes traditionnelles telles que le ceviche de cochayuyo ou la cazuella. Lors de mon séjour à Chiloé, j’ai rencontré Lorna Munoz, une jeune chef qui innove et invente des recettes très créatives avec les algues : je me suis régalée de ses sauces, pains et poissons agrémentés de cochayuyo. Le souvenir de ce hamburger de saumon pané au cochayuyo dans son pain aux algues accompagné de son pesto d’ulve est impérissable…

Lorna Munoz

Atelier cuisine aux algues à Chiloé, Chili

Lorna Munoz

Cazuella de cochayuyo, pain au cochayuyo, pesto d’ulve

En remontant vers le Nord, à la Navidad, j’ai rencontré Cécilia Masferrer, la responsable de la Coopérative des femmes travailleuses de la Mer. Elle a un caractère bien trempé ce qui me l’a rendue tout de suite très sympathique ! Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elles ne manquent pas d’imagination dans la coopérative : le cochayuyo séché s’ajoute au menu du petit déjeuner une fois transformé en flocons et consommé avec du lait comme les céréales ou ajouté comme complément dans les biberons des bébés !

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Produits à base de cochayuyo des algueros de Navidad

Et puis il y a aussi les confitures ! Décidément, le dynamisme, l’enthousiasme et les idées de Cécilia me rappelle quelqu’un… Ah oui Scarlette Le Corre, marin-pêcheur et algocultrice au Guilvinec dans le Finistère (France) qui produit notamment de la confiture de Wakamé. Vivement qu’on trouve le moyen d’organiser une rencontre entre ces deux-là !

Continuons à remonter le fil de notre voyage : au Pérou, j’ai découvert une autre petite algue dans les eaux douces du lac Titicaca, la llaska (Cladophora crispata). Cette algue verte est récoltée et consommée traditionnellement par les populations de la péninsule Capachica : séchée puis transformée en farine, elle intègre la préparation de pains et de soupes.

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La llaska, Cladophora crispata

Le Dr. Angel Canales Gutierrez, Directeur du CEDESOS3, une ONG qui oeuvre pour le développement durable à Puno, conduit un programme d’éducation et de gestion qui vise à assurer la préservation à long terme de cette ressource en lien avec les populations locales. L’ONG mène également des projets pour développer l’écotourisme dans la région.

Le Dr. Gutierrez m’a offert un paquet de farine contenant 15% de llaska, de quoi confectionner un kouign amann très innovant !

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Farine contenant de 10 à 20% d’algue verte llaska

  • Anne-Gaëlle : Pardon ? Tu as fait les dernières étapes du voyage avec la farine dans ton sac ?

  • Jacqueline Algane : Ben où voulais tu donc que je la mette ?

  • Anne-Gaëlle : Je me demande si cette farine n’a pas un lien avec notre visite de la cellule de sécurité à l’aéroport lors de notre correspondance à Miami… Bon cela nous a donné l’occasion de parler du potentiel des algues avec les agents de l’immigration !

En Europe

En tout cas, une chose est sûre, avec toutes ces expériences culinaires, je suis devenue accro aux algues. Mais pourquoi a t’il fallu que j’attende si longtemps pour les découvrir et les manger alors que dans d’autres régions du monde l’algue est tous les jours à la carte ?

Il paraît qu’en Europe, dans les régions littorales, la consommation d’algue est restée longtemps associée à des épisodes de famine ou à de l’aliment pour bétail, c’est ce qui a en partie limité l’intérêt pour ces légumes de la mer. Mais l’engouement actuel pour les “aliments santé” ramène les algues au premier plan4 et nous aurons bientôt tous des algues dans nos assiettes !

  • Jacqueline : Bon maintenant que je suis une algue-addict, je vais aller me fournir directement à la plage. Ça tombe bien vue la quantité d’algues qui se dépose sur l’estran après les tempêtes.

  • Anne-Gaëlle : Non non Jacqueline ! Tu peux récolter et cuisiner des algues récoltées localement mais il ne faut pas consommer celles qui ne sont plus fixées à leur support car elles ne sont plus dans de bonnes conditions. Il est important de s’assurer de la qualité du milieu où les algues sont récoltées car si l’environnement est pollué, elles sont susceptibles de concentrer dans leurs cellules des éléments toxiques tels que métaux lourds, des polluants, des composés radioactifs, etc. Le mieux c’est que tu participes à un stage ou à un atelier de cuisine. Il y en beaucoup dans notre coin, animés par des spécialistes telles que Simone Grass avec les associations Cap vers la Nature et Al’Terre Breizh ou nos algonautes Scarlette Le Corre et Régine Quéva : tu auras tous les conseils de récoltes et plein de recettes à réaliser avec les algues près de chez toi. 

Partout ailleurs

Bien sûr ce survol n’est pas exhaustif ! Les algues sont consommées à travers le monde et de plus en plus. Notre budget et le temps ne nous ont bien sûr pas permis d’aller partout : nous n’avons pas du tout pu nous rendre en Afrique par exemple lors de la première partie de la Route des Algonautes. Mais l’aventure continue à travers ce site depuis la Californie !

nijiya

Californie 2017 : le plein d’algues et d’énergie après passage au supermarché japonais !

En savoir plus
  1. FAO. 2016. The State of World Fisheries and Aquaculture 2016. Contributing to food security and nutrition for all. Rome. 224 pp. 

  2. FAO. 2014. The State of World Fisheries and Aquaculture 2014. Rome. 223 pp. 

  3. Centro Para el Desarrollo Sostenible 

  4. LE BRAS Quentin, RITTER Léa, FASQUEL Dimitri, LESUEUR Marie, LUCAS Sterenn, GOUIN Stéphane. 2014. Etude de la consommation des algues alimentaires en France. Programme IDEALG Phase 1. Etude nationale. Les publications du Pôle halieutique AGROCAMPUS OUEST n°35, 72 p.